Jeune mauresque aux chevaux - Huile sur toile 80x60

Jeune mauresque aux chevaux - Huile sur toile 80x60

Japonaise à l'ombrelle - Huile sur toile 92x59

Japonaise à l'ombrelle - Huile sur toile 92x59

L'orientalisme d'Ixia et ses odalisques

 

Comme chacun sait, l’orientalisme n’est pas une école mais un thème. Aussi chaque peintre a-t-il son Orient et ses odalisques. Celui d’Ixia se divise au moins en deux : l’arabisant, entendu ici au sens large puisqu’il s’étend à certains pays d’Asie d’influence musulmane, et le japonisant, qui est un Orient à lui tout seul. C’est ce que montre on ne peut mieux sa dernière exposition, Des touches et des notes, avec un accrochage délimitant deux espaces majeurs, l’un et l’autre ayant sa toile emblématique : Jeune mauresque aux chevaux d’un côté, et Japonaise à l’ombrelle de l’autre. On ne saurait dire pour autant que la peinture d’Ixia dessine un univers éclaté dont le centre est partout et l’unité nulle part. C’est même le contraire qu’il faut soutenir, encore que s’y isolent, vraisemblablement pour mieux se conjuguer, la beauté formelle de son esthétique et l’expressivité du visage des femmes qu’elle peint.

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S’agissant de la forme, Ixia inscrit assurément son orientalisme dans un large parti pris, qui va du néo-impressionnisme aux arts décoratifs. 

Du premier courant, qui compte un pan important d’orientalisme, sans doute convient-il de relever le choix des couleurs chaudes, et notamment les jaunes baignés de luminisme, surtout lorsque la complémentaire qu’ils appellent, soit ici les violets de la ceinture et de l’ombrelle de la belle japonaise, ne laisse pas d’en rehausser l’éclat. 

Quant aux arts décoratifs, qui ont eux aussi largement prospéré à l’enseigne orientaliste, il n’est certainement pas déplacé de noter qu’on en retrouve quelque chose dans la légèreté de la matière peinte et de ses tons pastel.

Mais peut-être faut-il surtout, au-delà de toute référence à l’histoire de la peinture, souligner le travail de la ligne et des courbes révélant, loin de toute prolifération d’arabesques, ce qui appartient en propre à Ixia : un art de la composition dont l’équilibre et le dynamisme donnent à ses personnages féminins le délicat mouvement qui est le leur. Faisant échec à toute position hiératique, l’oblique des bras et l’horizontalité du chèche de la « Jeune mauresque » vont assurément dans ce sens, de même que le coude replié de l’élégante « Japonaise », sans oublier la circularité dynamique de son ombrelle éponyme. Dans cet ensemble, il ne saurait être également question d’omettre, riche de tensions, la remarquable courbe ovoïde de leur visage structuré par les droites verticales du nez et du cou, elles-mêmes contredites par les lignes horizontales de la bouche, du front et de la coiffe. D’ailleurs, des visages dont Ixia nous gratifie, beaucoup sinon l’essentiel reste à dire, ayant pour objet le versant expressif de sa peinture.

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C’est que l’on ne saurait manquer, parlant du monde d’Ixia, de s’attarder sur la question, pleine de mystères, de l’expressivité du visage de ses personnages, la plastique et le décoratif ne l’éclipsant pas mais la mettant au contraire en exergue.

Les odalisques qui nous sont présentées n’ont rien en effet de la beauté facile et de la sensualité équivoque des femmes alanguies de l’orientalisme des siècles passés. Elles appartiennent autant à notre monde qu’à celui du Levant, comme en témoignerait, si besoin était, leur contrepoint animalier, qui n’est pas ouvertement exotique. Et l’on comprend qu’il en soit ainsi puisque le travail d’Ixia touche à l’art du portrait, dont le propre est de faire naître des interrogations sur le for intérieur du sujet, surtout lorsque l’expression des sentiments est comme ici pleine de retenue. Ainsi, du regard que nous jette la Jeune mauresque, faut-il dire qu’il est hautain et plein d’indifférence, ou qu’il nous accorde au contraire, tant son insistance est forte, une certaine attention privilégiée ? Le sourire empreint de sérénité et d’humeur nonchalante de la Japonaise à l’ombrelle exprime t-il pour sa part une suffisance narcissique qui nous exclut ou une satisfaction non avouée dont nous pourrions être la cause ? Nous ne saurions le dire, de même qu’il est impossible de savoir si la légère contre-plongée de leur regard marque leur supériorité ou si, loin de toute vue cavalière, il ne s’agit que d’une perspective ascendante qui, du fait qu’Ixia se dispense de la profondeur académique, homogénéise l’espace plus qu’elle ne le hiérarchise.

Mais peut-être que ces hypothèses interrogatives, loin d’appeler une réponse que seule l’artiste pourrait à la limite donner, sont-elles précisément faites pour rester des questions ouvertes, le jeu de renvoi qu’elles suscitent entre elles n’étant pas étranger au plaisir de la contemplation de ses œuvres.

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Dans cet esprit, et à tout prendre, on ne saurait dès lors manquer d’observer que les deux pôles autour desquels s’organise la peinture d’Ixia ne laissent pas de se faire écho, la beauté formelle de ses odalisques n’excluant pas la manifestation expressive des sentiments énigmatiques qui les habitent, la joliesse de la surface servant d’écrin à une esthétique ontologique du for intérieur. Et s’il est vrai que la beauté est femme, et que l’énigme de celle-ci n’a d’égale que celle de l’art, on ne saurait s’interdire de penser, en parcourant l’exposition, que, chez Ixia, le lieu d’interrogation du beau coïncide largement avec celui de la féminité, et qu’il est picturalement possible de le montrer, sous les espèces de l’orientalisme et de ses odalisques. Appréciation subjective sans doute ! Mais n’est-ce pas précisément à son pouvoir suggestif que l’on juge d’une œuvre d’art ? Les mélomanes qui ont eu le privilège de jouir du concert donné par Eric Artz le jour du vernissage n’en disconviendront certainement pas, eux qui savent combien est fort le pouvoir évocateur de l’art musical, notamment  lorsqu’il est mis au service des arts plastiques.  

Exposition Des touches et des notes

Paris, mai 2010

Roger Sciberras. 

 

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